La Xaintrie - Les tours de Merle

Visite des tours de Merle en 1883

D 12 août 2019     H 14:11     A Pierre     C 0 messages


En 1883, un groupe de visiteurs (probablement des membres de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze), se rend sur le site des tours de Merle.
En l’absence de données archéologiques, les descriptions, basées principalement sur la tradition, sont à prendre avec précaution.

Source : Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze, année 1883 - BNF Gallica

II

La forteresse ou ville de Merle [1] est située sur la rive droite de la Maronne, rivière nommée Eyge ou Etge [2] dans les anciens titres. Elle est assise sur les dentelures d’une presqu’île rocheuse dont la plus élevée domine d’une hauteur d’environ cent mètres le niveau des eaux de la Maronne. Le lit de ce cours d’eau ceint presque en entier les pentes inaccessibles de la forteresse et en est le fossé naturel. L’arête du mamelon est coupée en deux, dans le sens de sa largeur, par une entaille naturelle. Chacune de ses parties, couverte de ruines de l’effet le plus saisissant, forme deux places distinctes. Le site est sauvage et désolé.

Descendant de Saint-Cirgues, nous quittons le chemin vicinal en vue de Merle et nous descendons encore par un étroit sentier au moulin situé quelques pas en amont. Près de la naissance de l’isthme, nous rencontrons dans les talus des ruines informes que je crois être les restes de l’hôpital de Merle, ou de la chapelle primitive de Ste-Anne, ruinée par les huguenots et reconstruite ailleurs, au XVIIe siècle. Un chemin pavé, aujourd’hui abandonné, soutenu par des murs plongeant dans la Maronne, se perd en aval sous les gazons.

Sur l’isthme, relativement bas, qui relie au nord la presqu’île à la montagne, sont quelques constructions villageoises de date récente. L’une d’elles, une grange, nous dit-on, est bâtie sur l’emplacement de cette dernière chapelle. Nous y entrons, mais nous n’y trouvons aucun vestige probant si ce n’est, dans le mur latéral du midi, une pierre taillée qui semble être un bénitier renversé. De la cour qui précède cette grange, nous entrons dans un jardinet établi sur le sol d’une construction ruinée qui fut, au XIVe siècle, la maison dite de Veilhan. Elle servait de corps-de-garde au pont-levis de Veilhan, jeté sur la rue publique et qui donnait accès à la place de Cafolenc, devenue aujourd’hui un verger. Du côté de la place de Cafolenc nous remarquons la culée de ce pont-levis. Nous sommes devant la première ligne de défense.

Non loin de ce pont-levis, de la rue (Carieyra) publique et de la maison de Léger Trémouille était située la Grande porte du lieu de Merle [3].

Descendons par le vieux chemin, pavé de gros blocs de granit usés ou creusés dans le rocher. C’est la rue publique del Ferrador ou del Ferradou [4]. Nous sommes au bas du flanc oriental de la forteresse. Laissant à notre gauche le chemin, nous gravissons un étroit sentier. A notre droite et sur notre tête, est un amas de décombres duquel se dégagent des pans de murs, des rochers, la douve ébréchée d’une tourelle ronde qui contint jadis un escalier. Au bas de cette tourelle sont les restes encore imposants d’une demeure seigneuriale.

Cet ensemble est le château ancien de Merle. Plusieurs escaliers taillés dans le rocher marquent, par leur direction, la position des entrées. Nous traversons des débris de murs qui pourraient bien être les restes de la Grande porte. Continuant de gravir le sentier, nous pénétrons par une brèche dans un bâtiment carré oblong de dix mètres de longueur sur six de largeur environ, qui fut la chapelle de la commanderie de Saint-Léger. Aux quatre angles du chœur sont des mascarons [5], sur lesquels reposent encore plusieurs claveaux des nervures de la voûte, aujourd’hui effondrée. La nef s’étendait au couchant jusqu’à la roche taillée à pic en cet endroit.

Nous sortons du côté opposé par une autre brèche, et, à quatorze mètres plus loin, nous nous trouvons en face d’une muraille à peu près parallèle à la chapelle, percée d’une large baie, qui fut une des entrées principales de la forteresse. Cette porte était défendue par un mâchicoulis dont les corbeaux et quelques créneaux existent encore. Sur la façade extérieure sont espacés, en ligne horizontale, sept écussons ; le champ n’en a jamais été rempli. Leur nombre doit probablement répondre à celui des seigneuries qui composaient la châtellenie. Cette porte a dû leur être commune. Par là, nous pénétrons dans une enceinte quadrangulaire, qui comprend premièrement l’assiette d’une construction détruite, probablement d’un corps-de-garde juxtaposé à la porte, et secondement un espace encombré de matériaux, que je crois avoir été une cour soutenue par un mur à l’orient. Au sud de cet espace sont deux vastes corps-de-logis, liés par un mur commun de l’est à l’ouest, et dont les fondations s’enfoncent profondément dans le flanc de la presqu’île. Sur la façade du nord, au-dessus d’une baie, porte jadis, subsiste un écusson vide, qui confirme mon observation au sujet de ceux de la porte fortifiée. Nous regagnons le sentier et, montant encore, nous arrivons à la hauteur du deuxième étage du second corps-de-logis. Le mur occidental s’est écroulé jusqu’à la hauteur du sentier, et tous les détails de l’intérieur s’offrent à nos regards. Cette construction est à trois étages et divisée en deux parties inégales, du nord au sud, par un mur de refend. La toiture, les travées, qui étaient en bois, ont disparu. Le mur oriental, au rez-de-chaussée, aux premier et deuxième étages, est percé de larges fenêtres avec meneaux en croix ; celles du troisième ne sont plus que de petites ouvertures carrées, de même que celles des combles, mais ces dernières sont bien plus réduites. Sous les voussures des fenêtres sont des banquettes de pierre. Des pignons, à peine ébréchés malgré la foudre et les pluies, émergent encore les souches des cheminées, dont les manteaux en arcs surbaissés, à moulures cylindriques, se retrouvent à chaque étage accompagnés d’éviers et d’autres accessoires d’habitation. Nous remarquons que les murailles, surtout à l’intérieur, ont été rougies et calcinées par l’incendie. Dans l’angle sud-ouest de ce dernier corps-de-logis, au rez-de-chaussée, est une porte étroite et basse percée dans le mur sud. C’est l’entrée d’une salle souterraine taillée dans le rocher, hors du sol de la construction, en contre-bas du seuil de quatre ou cinq mètres. Il n’y a pas de trace d’escalier, et nous ne pouvons la reconnaître qu’en y jetant du papier enflammé. Un ancien de la localité nous assure qu’elle est sans issue. Elle n’a pu être qu’un affreux cachot.

A la droite du sentier, rue unique de cette ville étrange, est une autre masse imposante de ruines qui embrasse, au midi et à l’ouest, la cime de la roche la plus élevée de la presqu’île, et qui couvre avec elle un espace presque rectangulaire divisé en quatre parties à peu près égales, savoir du côté de l’est, la roche au nord, un corps de bâtiment au midi ; du côté de l’ouest, deux autres corps de bâtiment. La première de ces trois constructions est composée d’un rez-de-chaussée et de deux étages voûtés. Les murs sont rasés au niveau de la voûte du second étage. Nous pénétrons dans le rez-de-chaussée par une brèche. Nous nous trouvons dans la douve d’un escalier à vis ; les marches en ont été arrachées. Nous entrons ensuite dans un réduit dont la paroi du nord est le roc même ; il prend jour du côté du sud ; il servait de cave ou de cachot. Pour visiter le premier étage nous sortons, et, revenant un peu sur nos pas, nous grimpons sur le flanc de la roche, dans laquelle, ça et là, sont taillés d’étroits escaliers. Nous arrivons à un palier du rocher qui donne accès à une porte percée dans le mur du nord et communiquant avec. l’escalier à vis. Du seuil, nous voyons à notre droite l’entrée d’une salle éclairée par une fenêtre au sud. Mais les marches étant rompues, il faudrait faire un pont pour y pénétrer. Sous ce palier, nous avons remarqué d’en bas une sorte de fenêtre ou trou carré donnant accès dans un pigeonnier. Par un second palier extérieur taillé dans le roc, nous entrons dans la salle du second étage. Elle est voûtée et en bon état de conservation. On y voit une cheminée et deux fenêtres, une à l’est, une au sud. Dans l’angle sud-est, une porte la met en communication avec l’escalier à vis.

Les murs du nord des deux autres constructions, dont l’un leur était commun, se sont écroulés ; les autres sont à peu près à leur hauteur primitive. Les fenêtres sont pratiquées dans les murs du couchant et du midi. On retrouve ici tous les accessoires d’habitation mentionnés plus haut. La façade du sud repose sur une base plus ancienne.

Cette partie des ruines est séparée du château ancien par une terrasse soutenue de murs à l’est et à l’ouest. Elle était mitoyenne entre les propriétaires du nord et ceux du midi. De là, nous pouvons jeter un regard sur le flanc occidental de la presqu’île. Nous sommes à une très-grande hauteur des fondements de la forteresse. Nous les voyons assis sur une falaise de rochers à pic absolument inaccessibles. Tout là-bas, sous nos pieds, la Maronne bondit et écume.

L’ensemble des ruines qui viennent d’être décrites forme deux lignes. La première comprend le pont-levis de Veilhan, la place et le rocher de Cafolenc, le Château ancien, la terrasse mitoyenne, la roche avec les trois châteaux qui la ceignent de deux côtés ; elle suit l’axe de la presqu’île. La seconde ligne se développe sur le flanc oriental ; elle se compose de la chapelle de Saint-Léger, de la porte fortifiée ou corps-de-garde, et de deux châteaux contigus.

A l’extrémité sud de ces deux lignes, où nous revenons, est une terrasse circonscrite par ces deux châteaux, le château à deux étages voûtés et un mur de soutènement du côté du couchant. Ici, le sol s’incline légèrement et nous arrivons sur une sorte de col qui divise en deux le mamelon. Le chemin nous est barré par une muraille de rocher que nous ne parvenons à franchir qu’avec de grandes difficultés.

Sur le dos du rocher est une assez vaste enceinte en forme de carré long, circonscrite par des murs ruinés. Là s’élevaient deux corps-de-logis importants ; il n’y a plus qu’un jardin potager. Cette enceinte se relie à une tour quadrangulaire, demeurée intacte, dans laquelle nous pénétrons en nous hissant à grand’peine jusqu’à la hauteur d’une porte étroite, la seule qu’ait eu la tour à l’extérieur. Les travées qui soutenaient les planchers de trois étages ont disparu. Il n’y a pas de traces d’escalier au rez-de-chaussée ; mais il en existe un à courses droites superposées à partir du premier étage, ménagé dans l’épaisseur du mur du nord. Un jour crépusculaire descend de deux fenêtres situées au troisième étage, à l’est et à l’ouest. Les autres étages ne sont éclairés que par des meurtrières. Les murs sont percés de part en part horizontalement, çà et là, de trous carrés d’environ dix centimètres de hauteur. Je n’en connais pas la destination. Une voûte à quatre pans, soutenue par des nervures et une clé chargée d’un blason, porte le toit formé de dalles de granit.

A quelques sept ou huit mètres de là, et à l’extrémité du promontoire, est plantée une autre tour carrée un peu plus large, intacte comme la première. On y pénètre par une petite porte pratiquée dans le mur occidental, vers l’angle nord. Le rez-de-chaussée, en contre-bas, est voûté. Un escalier à courses droites superposées conduit à tous les étages, au nombre de trois, et même sur le toit ; mais les travées des deuxième et troisième étages n’existent plus ; sans échelle, il n’est possible de s’élever que jusqu’au niveau du second. Cette tour contient des cheminées, des éviers et des latrines. La façade orientale est percée de quatre grandes fenêtres à meneaux croisés, une pour chaque étage, garnies de banquettes dans les embrasures. Le mur du sud a des ouvertures moins larges. Le toit, de même forme que celui de la première tour, soutenu par une voûte à nervures avec clé armoriée, est flanqué d’une échauguette. Toutes les deux sont couronnées par un mâchicoulis formé de trois sises de corbeaux reliés deux à deux par de petites arcades à plein cintre, qui composent le parapet.

A l’ouest de cette tour on remarque des murs de terrassement, bases, sans doute, de constructions disparues.

Les constructions de Merle sont en granit, pris probablement dans le voisinage, lié par un mortier de chaux et de sable. Les revêtements sont en pierre de taille de grand appareil.

Des fenêtres de la dernière tour, le regard plonge dans la Maronne. On aperçoit sur les deux rives les culées d’un pont ruiné et une vieille maison, où se tenait la garde chargée de le défendre et le préposé au péage [6]. Emboîtant la trace que les fers des mulets ont laissée, nous descendons du côté du midi par un étroit sentier assis sur le roc. Il tourne bientôt vers le levant, puis vers le nord, et il nous conduit à l’entrée du pont. Un chemin plus ou moins montueux, la rue del Ferrador, que nous retrouvons à travers quelques chaumières ruinées et abandonnées, nous ramène à notre point de départ. Nous rejoignons le chemin vicinal et, de là, nous contemplons l’ensemble de ces ruines. Un beau soleil matinal dore le granit des murailles démantelées. L’œuvre de la nature s’identifie à celle de l’homme sous des voiles mystérieux de mousse et de lierre. Quelle riche découpure sur le ciel bleu ! Le crayon et le pinceau, seuls, peuvent décrire de tels effets. Ces deux tours posées comme deux sentinelles avancées, ces murs éventrés se dressent comme autant de points d’interrogation. En quel temps et par qui furent-ils élevés ? Quels hôtes les habitèrent ? Par quels ennemis furent-ils assaillis et ruinés ?


[1« Merle, Merula, de Mera, solitaire comme cet oiseau, d’où le nom des ruines désolées de Merle, sur la Maronne, de Chastel. Merlhac, près de Saignes (Cantal), et du hameau de Marliat, voisin de Samt-Salvadour. »
(Voyages en Limousin, Auvergne et Quercy, par M. C., Journal Le Limousin et Quercy.)

[2L’Eyge est généralement nommée par les meyrandiers et les pécheurs, en langue limousine, l’Aygola (la Petite-Eau), par opposition à la grande eau, la Dordogne. Est-ce là l’étymologie de Eyge ?. Je ne l’affirme pas. Un affluent de la Bertrande, qui se jette dans la Maronne et qui naît dans la commune d’Anglars, est nommé Delze, rivière d’Aise ou Soutane, C’est à tort que le Dictionnaire statistique du Cantal nomme la rivière qui baigne Merle, le Basteyroux, en même temps que la Maronne ; Basteyroux est un village de la commune d’Argentat baigné par ce cours d’eau. La fausse charte attribuée à Clovis en faveur de Saint-Pierre-le-Vif de Sens la désigne ainsi Marona (flumen). La Maronne s’échappe de la montagne de Pratmeau, voisine du roc du Merle. Elle reçoit la Mars ou Mar (racine de Maronne), du latin mare, mare, marais. (Dictionnaire statistique du Cantal. V. Cantal.)

[3Reconnaissances de Veilhan, 1532-1568. Fonds de Bar d’Argentat.

[4Voir plus loin les titres de 1361 et de 1589. Ferrador, ferré.

[5Sur l’un d’eux figure un loup passant. Les Veyrac, coseigneurs de Merle, possédaient à Sexcles une chapelle dédiée a saint Loup.

[6Cette maison est aujourd’hui démolie.

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