1476 : Une fondation d’obit à l’épreuve de l’érosion monétaire
23 mars 2021 22:13 0 messages
Ce document non daté comprend 2 parties, écrites probablement (compte tenu de leur écriture) au début du 18e siècle.
la première partie est la copie d’un extrait de contrat d’obit [1] passé en 1476 par Gasparde de Merle, épouse de Jean III de Noailles [2]. C’est Jean III de Noailles qui le signe, pour le compte de son épouse qui n’a pas la capacité juridique de le faire elle-même. Par ce contrat, il « arrente [3] » un jardin appelé « del portal », situé près du cimetière de Saint-Bonnet (qui est alors contigu à l’église), à un certain Jean del Raisse. En contrepartie de ce don, ce dernier, ses descendants et héritiers doivent verser à perpétuité, le 23 juillet de chaque année au curé de Saint-Bonnet, le jour de la fête de Ste Madeleine, une somme de 6 blancs [4], en contrepartie d’une messe anniversaire pour le repos éternel du donateur.
la deuxième partie, précédée du mot « Nota » nous transporte au 18e siècle. A cette époque, les propriétaires du jardin sont Antoine Pagésie et sa femme Catherine Fargues (voir encadré ci-dessous). C’est de la famille Fargues qu’ils ont hérité de ce jardin, et ils continuent de verser au curé de Saint-Bonnet la somme de 6 blancs devenus 6 sous. En contrepartie de ce versement, le curé de Saint-Bonnet doit toujours respecter l’engagement de célébrer la messe d’anniversaire prévue au contrat de 1476. Mais entre 1476 et le 18e siècle, l’érosion monétaire fait que la valeur de 6 sous est devenue très inférieure au prix courant d’une messe anniversaire. Plus les contrats sont anciens, plus le salaire du curé baisse, à travail identique. Pour sortir de ce cercle vicieux, le curé doit obtenir de son évêque une « réduction d’obit », qui lui permet de considérer que le contrat d’origine est devenu caduc. Une solide argumentation du curé est alors nécessaire pour que cette « réduction » lui soit accordée par l’évêque de Tulle.
Extrait du contrat d’investiture d’un jardin appellé l’Ort del Portal
Le 16 octobre 1476 noble et puissant homme Jean de Noalie, seigneur des Noalies, Noalie comme mari et maître des biens dotaux de noble Gasparde de Merle sa femme, a aranté et donné en emphitéote perpétuelle à Jean del Raisse un jardin appellé del portal situé au lieu de St Bonnet le pauvre confrontant avec le cimetière dud lieu avec possessions de Pierre del teil et chemin allant de Merle vers Sepvols, sous le cens annuel et rente perpétuelle de 32 deniers monnoie courante tournois paiables six blans au curé de St Bonnet le pauvre qui est ou qui sera à lavenir pour paiement de pareilles sommes de six blans autrefois legués aud curé par les prédécesseurs de lad de Merle et paiables le lendemain de la fête Sainte Magdeleine et ce pour un anniversaire que les curés dud lieu sont tenus faire le susd jour 23 juillet. Lesd six blans avoient été assignés sur le susd jardin par lesd auteurs5 de lad de Merle, les deux deniers restant paiables aud seigneur et à ses successeurs chaque jour St André apôtre, contrat en bonne forme receu par Bastide6.
Nota – Ce jardin est possédé par Antoine Pagesie et Catherine Fargues. On croit que Jérémie Fargues a reconnu led jardin et sa maison y attenante à Monseigr le Duc de Noailles, il y a 40 ou 44 ans. Lesd propriétaires continuent de paier aud curé lesd six blans ou trente deniers, et led Sr curé fait un certain service pour cette fondation, tel qu’il a été déterminé par Mr l’évêque de Tulle, la rétribution étant trop modique pour faire le service qu’on appelle anniversaire, le propriétaire dud jardin et maison a toujours reconnu Monseigneur le Duc de Noailles pour son véritable seigneur et a exactement assisté aux assises tenues à Merle pour led Seigneur.
Source : Archives Départementales 19 – 8 J 45 – Fonds de Bar (Argentat)
Les patronymes Pagésie et Fargues sont très courants à Saint-Bonnet aux 17e et 18e siècles. Le registre paroissial mentionne la sépulture de Catherine Fargues, âgée de 50 ans environ, épouse d’Antoine Pagésie, le 17 décembre 1754 en présence de Pierre Bonal, Jean Maniac et Pierre Sartre. Elle serait donc née vers 1700. Sa date de naissance exacte est inconnue, car il y a lacune du registre des baptêmes du 30/06/1690 au 12/02/1711. Une Catherine Fargues est marraine de baptême le 15 mars 1735. Les enfants d’Antoine Pagésie et de Catherine Fargues sont : Jean, baptisé le 14 avril 1735, Rose, baptisée le 18 octobre 1737, Bernard, baptisé le 22 avril 1741, Marie, baptisée le 16 novembre 1746. On apprend à cette dernière occasion qu’Antoine Pagésie est tisserand. Source : registre paroissial de Saint-Bonnet (AD19) |
[1] Un obit (du latin obitus, c’est-à-dire mort) est un service religieux célébré en mémoire d’un défunt et pour le salut de son âme, à une date fixe de l’année (généralement le jour anniversaire du décès).
[2] Jean III de NOAILLES, † ap 1479 - Chevalier - Seigneur de Pénières et de Noailles épousa en 1470 Gasparde de Merle, dame de Merle. Source : http://penieres.free.fr/noailles.htm.
[3] Arrentement : Chose donnée ou prise en contrepartie d’une rente.
[4] Blanc : monnaie créée au 14e siècle, le blanc s’appellera plus tard le sol (sou) et vaut 1/20e de livre.
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